Antton Rouget
Journaliste
PRÉSIDENTIELLE 2017

En pleine affaire Fillon, les partisredoutent une large abstention

Marquée par la multiplication des affaires politico-financières et le possible renoncement François Fillon, l’incroyable élection présidentielle française déboussole les électeurs. À droite, plusieurs cadres menacent de s’abstenir pour contester leur candidat. À gauche également les appels à l’abstention se multiplient pour balayer le système politique.

Une chose est claire: tout observateur de la vie politique française qui se risquerait à prédire le déroulement de l’élection présidentielle du mois d’avril est soit un imprudent, soit un pur menteur. Il y a à peine cinq mois, aucun des éditorialistes stars de l’Hexagone n’avait annoncé un des improbables rebondissements de cette campagne inédite: ni le renoncement de François Hollande, ni l’élimination de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé à droite, pas même la victoire de Benoît Hamon face à Manuel Valls à gauche. Et encore moins l’explosion en plein vol de la candidature de François Fillon, que tout le monde donnait vainqueur il y a un peu plus d’un mois.

Dans ce contexte d’une incroyable volatilité, l’électorat de droite comme de gauche semble totalement déstabilisé tandis que, selon plusieurs enquêtes, près d’un électeur sur deux n’aurait pas encore fait son choix. Et la menace d’une abstention très forte –et tout aussi politisée– est redoutée par les états-majors des principales formations politiques.

Plusieurs signaux témoignent en ce sens d’un élargissement de la base des abstentionnistes par rapport aux précédents scrutins (autour de 20% en 2012). A droite, d’abord, nombreux sont les cadres et militants à annoncer clairement qu’ils n’iront pas voter s’ils n’ont pas d’alternative à François Fillon. Il en est ainsi d’Henri Gaino, qui n’est autre que l’ancien secrétaire général de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Candidat à la présidentielle, l’élu n’a guère de chance d’obtenir les 500 parrainages nécessaires. Il ira donc «à la pêche» plutôt que de se rendre aux urnes, a-t-il d’ores et déjà annoncé. Comme lui, des centaines de militants pourraient s’abstenir pour la première fois à une élection présidentielle.

Dans le climat de multiplication des affaires politico-financières à gauche, à droite et à l’extrême-droite, l’abstention se développe aussi comme une arme de protestation contre un modèle gangréné. Dans son ouvrage "No Vote" (Editions Autrement), Antoine Bueno, ancien chargé de mission au Sénat et plume de François Bayrou, a ainsi publié un manifeste pour une abstention «utile» en faveur d’une réforme complète d’un système de représentation en crise. «L’acte de vote est une légitimation de ce système, donc, à moins qu’un candidat ne fasse des propositions de réforme institutionnelle profonde, je n’irai pas voter en mai» a-t-il expliqué à “L’Obs”.

Une vision plutôt partagée à gauche, notamment chez les partisans d’une alliance entre Jean-Luc Mélenchon (candidat soutenu par le parti communiste) et du socialiste Benoît Hamon en faveur d’une réforme constitutionnelle pour une VIe République.

Le danger réel que représente la candidature de Marine Le Pen pourrait malgré tout pousser ces électeurs au «vote utile» pour faire barrage à l’extrême-droite. Cette menace du «si tu ne vas pas voter, ce sera le front national» est d’ailleurs l’unique argument soulevé par les forces politiques de droite comme de gauche pour essayer de mobiliser massivement les électeurs.

Mais, les analyses arithmétiques démontrent qu’il n’y a aucun lien entre la montée de l’abstention et celle de l’extrême-droite dans les urnes. Au contraire. Dans “Voter, c’est abdiquer”, le journaliste Antoine Peillon rappelle qu’il «est aujourd’hui nécessaire de dévoiler comment celles et ceux qui ne cessent de diaboliser [l’ascension du FN et l’abstention] sont en réalité les principaux promoteurs des succès électoraux de plus en plus dangereux du clan Le Pen». Le journaliste note en effet qu’il «existe des ‘déterminants’ réels du vote frontiste, qu’ils soient socioéconomiques, idéologiques ou tactiques, dont les dirigeants des partis dits de gouvernement sont les premiers responsables». Mais, droite comme gauche sont bien peu enclins à cette autocritique.