2016 URR. 15 CONFÉRENCE DES ÉVêQUES DE FRANCE Crise politique en France : au tour de l’Eglise de donner l’alerte Voilà son analyse politique la plus percutante de ces 20 dernières années : dans une «adresse aux français» diffusée vendredi, la Conférence des évêques de France a alerté sur les risques de rupture du «contrat socia». L’Eglise estime que si les responsables politiques ne modifient pas leur pratique, la société s’oriente vers une crise politique majeure Antton Rouget Journaliste freelance C’ est un document rare et suffisament percutant pour que sa portée déborde bien au-delà des milieux catholiques. Dans une longue «adresse aux français» diffusée ce vendredi, le conseil permanent de la Conférence des évêques de France (CEF) a appelé de manière inédite dirigeants et citoyens de l’Hexagone à «retrouver le sens du politique». À six mois d’une élection présidentielle que tous les observateurs associent à une nouvelle montée de l’extrême-droite, au-dessus des 30% de voix, les plus hauts responsables de l’Eglise dressent un constat accablant d’une société «inquiète, anxieuse, insatisfaite», comme à la veille d’une crise politique majeure. Ce n’est pas là la première fois que les évêques français prennent position pour tirer la sonnette d’alarme. En 1991, la Conférence des évêques de France avait déjà publié un long texte évoquant «des Français qui vivent un temps de désillusion et de reflux des grandes idéologies». Et en 1999, elle avait déploré que «le sens du politique tend à s’émousser et à se dégrader». Mais, vingt ans plus tard, l’évolution de l’analyse politique de l’Eglise montre que la crainte de la rupture du «contrat social» gagne toutes les couches de la société. L’Eglise a repéré trois lignes de fractures majeures : une insécurité sociale inédite, un sentiment d’injustice croissant et des références culturelles dépassées. Les évêques notent ainsi que «les Français redoutent, plus que tous les autres Européens, de subir un déclassement dans leur niveau de vie». Impression renforcée par des inégalités sans cesse plus grandes : «la France comprend mal, par exemple, le salaire indécent de certains grands patrons pendant que l’immense majorité des petits entrepreneurs se battent pour que leur entreprise vive et se développe» ou la «grande injustice» que représente le chômage. C’est dans ce climat social sensible qu’intervient, selon la CEF, la troisième difficulté de la société française, à savoir «l’insécurité culturelle». Rejetant «l’idée d’une nation homogène, construction politique constituée souvent à marche forcée, en centralisant et unifiant de manière autoritaire et en gommant souvent les références», l’Eglise estime que la conception même d’un «récit national» unifiant est largement contestée et remise en cause aujourd’hui. Pour faire face à ce triple défi majeur, les représentants catholiques en appellent à la responsabilité des politiques. «Depuis plusieurs années, déplore la CEF, la politique dans notre pays ne cesse de voir son discrédit grandir, provoquant au mieux du désintérêt, au pire de la colère». Ambitions personnelles démesurées, manœuvres électorales permanentes, promesses non tenues, absence de projet à long terme, … : la conférence des évêques livre un long réquisitoire recensant les dérives du système politique actuel. «Ou nous arrivons à trouver le chemin du vivre-ensemble, ou nous nous faisons la guerre» a ainsi appuyé dans les colonnes du Monde, son président Mgr Pontier, en guise d’avertissement à des dirigeants souvent déconnectés des réalités sociales. Si l’Eglise réagit avec une telle gravité, c’est aussi parce qu’elle est elle même traversée par une crise politique majeure. Lors des derniers scrutins locaux ou nationaux, la presse catholique s’est ainsi sérieusement interrogée sur le glissement d’une partie de l’électorat pratiquant vers le Front national. «Les catholiques français ont voté dans des proportions inédites pour le parti de Marine Le Pen lors du premier tour des élections régionales. (32 %, au-dessus de la moyenne des Français à 28,4 %)»avait ainsi déploré La Croix en décembre 2015. Une tendance qui touche également l’épiscopat français. À l’été 2015, à Toulon, Mgr Rey (ami de l’évêque de Bayonne Mgr Aillet qui fût son vicaire général) a été le premier évêque à inviter le Front national à une université catholique. Si l’Eglise réagit avec une telle gravité, c’est aussi parce qu’elle est traversée en son sein par cette crise politique majeure. Aux dernières élections, les électeurs catholiques se sont mobilisés de manière inédite en faveur du Front national